Il n'y aura pas de voyage de retour [terminé]

La matinée commença calmement pour Espérance. La fatigue de la veille s’étant estompée, tout était bien plus facile en cette matinée.  Réveillée par l'elfe aux cheveux d'argent, ayant un peu de tranquillité, elle commença par s’étirer avec la grâce d'un félin tout juste tiré de son sommeil, puis par vérifier ses effets avant que l'elfe aux cheveux d'argents ne vienne la sortir d'un lit qu'elle avait quitté de peu.
Le rappel étant cependant battu, elle ne se fit pas prier et après une rapide toilette, elle rejoignait la pièce principale pour le petit déjeuner.

Une pomme ou deux plus tard et une part de tarte tout juste sortie du four, elle attendit le départ proche de la porte, à l’extérieur, profitant de la chaleur de l'astre solaire matinal sur son visage. Laissant les elfes à leurs affaires jusqu'au moment de se mettre en route, c'est avec surprise et reconnaissance qu'elle accepta la monture proposée. Se rappelant a ses leçons d'équitations et à l’expérience d'une jeunesse chez les chevaliers de Cron, elle s'en sortit plutôt bien.

Gardant un œil sur le duo elfique, elle prit alors la route, sans forcer l'allure, direction "la maison". Le chemin prendrait plusieurs jours pour arriver a la capitale, mais c’était largement faisable, même sans passer par une ville. Tandis que les pensées d’Espérance passaient du chemin actuel a ce qu'elle irait faire une fois rentrée, Artanis s'approcha d'elle pour engager la conversation, poser des questions et si pour certaines, les réponses étaient des choses qu'elle avait déjà raconté ou qu'elle avait vécu dans la dernière année passée là bas, d'autres nécessiteraient qu'elle choisisse ses mots avec minutie pour ne pas se retrouver à nouveau dans une situation très propice au quiproquo, ce qu'elle souhaitait ardemment éviter.

Une distraction bienvenue fut celle du dragon d'Artanis, le jeune Belthrannar, et ce qui ressemblait à une farce qui interrompit Artanis dans son flot de question. Elle les regarda en silence s'amuser, l'elfe aux cheveux d'argent semblant dors et déjà préparer une contre attaque à l'aide de la magie.
Elle se surprit à sourire, avant de porter à nouveau son regard sur le sentier qu'ils empruntaient.

- Hum.. Des plaines, beaucoup de plaines, mais il est des lieux depuis lesquels les levers et couchers de soleils sont des plus agréable à regarder. La capitale est un lieux ou on peut passer une journée entière à passer d'étale en étale sans se lasser et pour les plus aventureux, il est aisé de trouver votre prochain voyage, votre prochaine étape, bien que je ne me sois pas intéressé aux ruines plus tôt, mais pour ma part, je ne fais pas dans les ruines mystérieuses, non, cela pourrait plus être votre hobbies a vous dit-elle à l’attention d’Ildarion.

Puis elle se mura a nouveau dans un silence pendant ce qui dura quelques minutes, le visage plus ferme.

- Mon histoire.. Elle est, je pense, peu attrayante. Pour faire court, je suis née dans les royaume humains, d'une petite famille aux revenus correcte. Ni noble, ni pauvre, j'ai grandis avec une bonne éducation, dans un foyer aimant. En grandissant, je me suis sentie attirée par toutes ces choses que l'on me dit sur la chevalerie, les contes et légendes associés a ces hommes et femmes honorables, alors, je me suis dis, pourquoi pas ? Et le destin a semblé lui aussi me mener a ce sentier alors, je l'ai suivit.
Et tout se passait bien, jusqu’à ce que je finisse par me rendre compte d'une erreur, d'un fourvoiement dans l'ordre auquel j'ai appartenu dans ce qui normalement fait l'essence d'un chevalier. Une injustice, une méprise volontaire, alors, je suis partie, loin, et comme bien des gens, j'ai finis par arriver a la terre des dragons. Depuis, je vis au milieu d’aventures et de découvertes passionnantes, ce qui en soit, est une bonne chose.

Puis de nouveau un peu de silence, avant qu’elle ne s’adresse a nouveau au mage, souhaitant aisément dévier la conversation sur autre chose.

- Non, vraiment, en fonction de ce que vous cherchez, Aravalen’Dir peut être vraiment le bon endroit pour le trouver.

Le réveil avait été difficile ; le petit-déjeuner, plus copieux que ce dont il avait l’usage. Au vu de son train de vie habituel, Ildarion avait perdu l’habitude de manger à heure fixe. Le fait de sociabiliser avec des vraies gens, de prononcer des vrais mots à haute et intelligible voix tout en fixant des visages souriants plutôt que des diagrammes cryptiques, avait réveillé en lui quelque chose ; un appétit qui avait depuis longtemps cessé de se manifester, mis à mal face au caractère aléatoire des longues sessions d’étude du mage. Il s’agissait de faim, certes, mais aussi d’autre chose. Il n’arrivait pas encore à mettre le doigt dessus, mais le voyage l’aiderait à lever cette question matinale.

Leur départ de l’auberge se fit plus tard dans la matinée, après qu’ils eurent réglé leurs préparatifs et opéré de toutes les politesses de circonstance vis-à-vis de la tenancière de l’établissement. Le mage ne sut dire si la route était facile ; Artanis avait pris l’initiative de mener sa monture, et il n’avait pas trouvé à y redire. C’était la solution logique : l’humaine semblait bonne cavalière, en tout cas bien meilleure que lui. S’il ne comprenait pas encore tout à fait comment elle avait réussi à sympathiser avec son ami après les escalades d’hier, il s’accommodait du résultat sans problème. Il laissait traîner l’oreille vis-à-vis de leurs conversations, moitié somnolant, moitié rêvassant quant aux épreuves à venir. Aussi, la description d’Aravalen’Dir sut activer son attention, et de cette partie-là des paroles de leur guide, il ne perdit pas une miette.

« Des ruines mystérieuses… » marmonna-t-il en repensant à ses cours d’histoire.

Evidemment, les découvertes de La Moe s’imposèrent naturellement à ses pensées, ainsi que les débats enflammés à leur sujet qui parcellaient les cercles d’érudits à l’académie. Certains de ces lieux de grande histoire sauraient lui donner des réponses, il en était persuadé. Pour autant, la plupart de ces ruines se trouvaient en territoire inhospitalier, voire carrément hostile. Nul doute que des obstacles se dresseraient sur son chemin, et s’il n’avait jamais eu l’âme d’un guerrier, il avait encore moins le cœur à abandonner sa quête de la vérité.

Lorsque l’humaine parla de son éducation – bonne à ses dires – il tiqua un instant, se demandant toujours si elle savait ou ne savait pas lire. La question de la veille était restée en suspens et perturbait plus que de raison son esprit de rouages et de métal. Il était inconcevable que leur guide soit illettrée, ou du moins, le reste toute sa vie. Une fois arrivés en terre des dragons, il s’assurerait de son alphabétisation ; quel que soit son niveau effectif, il lui apprendrait, au passage, deux ou trois bases en elfique. De quoi l’assister si jamais elle devait voyager à nouveau de ce côté du monde. Il existait beaucoup d’elfes à moitié aussi enclins qu’Artanis à s’emballer sur une mésentente, mais moins de la moitié d’entre eux désescaladaient aussi promptement que lui. Loin des récits de bataille qui peuplaient leur histoire et leur imaginaire, loin des donjons lugubres peuplés de maléfices dont regorgeaient les récits des bardes, les rixes civiles, beaucoup plus terre à terre et beaucoup plus nombreuses dans le quotidien des citadins, démontraient en quoi même les rues des villes pouvaient être des lieux obscurs et dangereux.

Et tandis qu’Éléonore parlait de chevalerie, son esprit divaguait vers les divers cours de magie pratique qu’il avait pu suivre sur les bancs de l’école des arcanistes. Postures tant défensives qu’offensives défilaient à toute allure dans sa tête, autant de connaissances qu’il devrait probablement peaufiner s’il espérait faire durer un minimum son aventure. Lui qui aurait aimé être un être d’érudition pure ne saurait se donner pleinement les moyens de vivre sa destinée sans être capable de faire quelques étincelles.

Enfin, c’était la théorie.

Un léger regard en arrière lui provoqua comme un serrement à la poitrine. Bien sûr, Ildarion était déterminé. Et pourtant… Derrière ses élans d’aventure, sa haine latente pour l’inertie de ses précepteurs et son ras-le-bol général du système qui régissait l’empire, il réalisa l’espace d’un instant qu’il demeurait profondément casanier. Toute bibliothèque était sa maison, et il n’était riche que de leur contenu. Les bijoux dont il se parait volontiers, les hermines et les velours dont il aimait se draper, n’étaient que des pans de sa personnalité maquillant son essence même. S’il tirait sa noblesse de son sang, il aimait se dire que la réelle noblesse était d’esprit, et que bien des choses seraient différentes si plus de personnes partageaient sa vision du monde. Ironiquement, la partager n’avait, justement, jamais été son but auparavant. Le serait-il maintenant ? Peut-être ; c’était en tout cas une route parallèle à celle de son ami, à qui il souhaitait naturellement la pleine réussite de son entreprise. En vérité, lui-même n’avait pas beaucoup voyagé, y voyant au pire une bagatelle pour dilapider ses richesses, au mieux un moyen d’accomplir certaines nécessités diplomatiques – une tâche dans laquelle ses frères avaient toujours plus brillé que lui. Pour ainsi dire, et puisqu’ils passeraient bientôt la frontière, il se rendit compte avec étonnement que d’ici quelques lieues, chaque pas de plus serait l’endroit le plus éloigné de chez lui où il n’aurait jamais été.

« Si Aravalen’Dir est si chargée de secrets que je le pense, alors vous aurez très probablement raison. » reprit-il en écho à la nouvelle apostrophe de l’humaine.

Ildarion voyait d’un mauvais œil les chamailleries qu’Artanis échangeait avec son frère dragon. Derrière la farce et la complicité, il subissait surtout des à-coups et des détours dans le chemin du cheval, et autant de ballottements qu’il aurait préféré éviter à tous les organes présents dans sa cage thoracique. Le meilleur moyen qu’il trouvait pour se recentrer était de se concentrer sur les échanges magiques qui fusaient autour de lui ; arbitrant secrètement les flux pour maintenir le match équitable. Rien de trop visible ni de trop déloyal, évidemment ; mais il fallait savoir aider la chance pour qu’elle finisse par vous sourire en retour. Ce matin, Artanis avait été chanceux.

Aussi, lorsque midi fut haut dans le ciel, il était déjà épuisé, et demanda que l’on fasse une pause. Une clairière se trouvait non loin de la route, herbue, bordée de rochers plats disposés en cercle. Il proposa que l’on s’y pose le temps d’un frugal encas, d’une gorgée d’eau, et de quelques respirations. La route était désespérément vide. Au mieux, quelques silhouettes au loin comme un petit nuage par la chaleur montante, avançant vite et contre le vent, mais pas de grand passage pour une route frontalière.

Entre deux bouchées de tarte, Ildarion rouvrit son livre du moment, dévorant les pages nouvelles avec avidité. Certes, il s’agissait de magie noire étonnamment plus avancée que ce qu’il avait soupçonné en premier lieu, ce qui rendait l’apprentissage un poil plus complexe que ce qu’il pensait en premier lieu ; pourtant, cette difficulté nouvelle décuplait son application à la tâche. A tel point que lorsque ses amis commencèrent à s’agiter, il ne le remarqua pas. Face aux éclats de voix, il leva à peine les yeux du grimoire. C’est littéralement à la vue de quatre cavaliers en robe de mage qu’il considéra mettre en pause sa lecture.

« Ildarion Saphronys ? prononça l’un des quatre mages ; cheveux longs et blonds tressés avec un goût laissant à désirer, il arborait un étrange pendentif qui lui fit accélérer les battements de son cœur.
— Lui-même, et vous êtes ?
— A votre recherche. Nous sommes mandatés par l’académie des mages afin de vous retrouver et de récupérer certains objets qui ne sont pas de votre… propriété. »

Ils avaient démonté et s’étaient rapprochés de leur groupe. Le mage qui venait de parler sortit un parchemin de sa manche qu’il déroula, révélant un rideau de texte qui continua de se déplier même après avoir touché le sol ; tout en bas de la page se trouvait un très lisible et très inimitable sceau magique en provenance de l’académie, signifiant la légitimité du document. Ildarion lança un regard inquiet aux trois autres mages qui accompagnaient le premier – un au milieu de la clairière, les deux autres barrant les côtés de la route, un près de chacun de ses compagnons. Instinctivement, ses doigts s’étaient agrippés à son livre de magie.

« Si vous me laissez une semaine, je vous promets de le restituer sans faute. C’était ce que j’avais écrit dans ma note d’emprunt.
— Ce que vous avez dérobé ne… s’emprunte pas » trancha le mage au pendentif.

Le mage du milieu de la clairière dépassa son interlocuteur et arriva au niveau de l’arcaniste ; et puisqu’il tendait les mains vers le livre, Ildarion le retira au dernier moment, le refermant dans la foulée et le pressant contre lui.

« Je vois. Les négociations n’ont pas duré. »

Aussiôt, les mains des mages de l'académie se remplirent d'énergie. Le mage au pendentif se mit en retrait ; au mage devant Artanis poussait dans les mains une fine lame en métal ; celui devant Éléonore perdait en substance tandis qu'il se transformait en… quelque chose ; enfin, l'arcaniste directement devant Ildarion voyait naître entre ses doigts des étincelles au crépitement intense.

Ne perdant pas une miette du récit d'Eleonore, Artanis gardait les yeux rivée sur son frère, le pourchassant de son projectile magique. Esquives, pirouettes aériennes du dragon, l'elfe pourtant ne lâchait pas, et alors que sa concentration lui permettait à peine de conduire sa monture, et que l'humaine terminait son récit, Artanis touchait enfin sa cible dans un élan d'adresse que Belthrannar ne put esquiver. Ne pouvant refréner un "ouais !" qu'il tenta de toutes ses forces d'émettre à sa voix la plus basse, l'elfe s'en tint la, et n'ajouta pas à ses questions destinée à faire le jour sur le passé encore quelques peu brumeux de leur guide.
Ce qu'il savait désormais lui suffisait, et il ne souhaitait pas paraître trop inquisiteur, il l'avait déjà bien été assez la veille. Récupérant son frère dragon trempé et se réconciliant avec lui, il repris sa route qui mena le petit groupe jusqu'à une clairière où, autour d'un cercle de pierre, ils entamèrent une pose plus ou moins exigée par Ildarion. Quelques peut agacé de devoir s'arrêter "si tôt", Artanis n'en dit rien, connaissant les habitudes de couche tard de son ami et l'ayant lui même tiré du lit, il pardonnerait cette fois ci à ce dernier cette "faiblesse", et préparait un premier assaut, plus tard, à la source de celle-ci, au soir.

Le repos fut de courte durée, car à peine Belthrannar était il parti chassé seul dans la forêt, et les premiers morceaux du frugal festin avait été digérés, que le nuage de poussières qu'Artanis avait remarqué plus tôt se destina au groupe de voyageurs. Le chevalier avait pensé pouvoir échapper à l’intérêt des cavalier faisant la même route qu'eux, le destin en avait décidé autrement, c'est donc se levant qu'il se dirigea vers les quatre inconnus hélant le petit groupe hétéroclite.
Les accueillant d'un chaleureux « Bonjours messieurs que puis-je pour vous ? », Artanis remarqua Eleonore à ses côtés, qui provoqua une rixe des nouveaux venus ne pouvant s'empêcher un « Regardez moi ça, ça se mélange à des humains, décidément les elfes tombent bien plus bas qu'on aurait put le penser...enfin on ajoute cela à la sale liste déjà peu glorieuse. » suivit d'un éclat de rire de la part du groupe qui semblait, à leur habits, êtres quatre mages, probablement nobles de la capitale, très certainement ne reconnaissant pas Artanis. Posant une main sur l'épaule de l'humaine à ses côté afin de lui intimer le calme, l'elfe reprit, plongeant son regard dans celui de son interlocuteur et se dressant de toute sa stature, essayant de transmettre sinon son nom l'idée de sa classe sociale :

-Pardonnez moi messieurs j'ai peur de ne pas comprendre la raison de votre venue ici, pourriez vous m'expliquer à nouv...

-On est pas là pour toi, retourne jouer avec ton esclave à 2 pièces dans les fourrés et laisse donc parler les grandes personnes. Quand on aura besoin de te chercher on saura où sonner. Ildarion Saphronis ? ...

Un nuage d'émotion passa tel un éclair sur le visage d'Artanis qui devint marmoréen, figé dans le temps, impassible pourtant anormalement immobile, seul sa main posée encore sur l'épaule d'Eleonore trahissait alors ses véritables sentiments. Le cuir de la paume gantée du chevalier se pressa avec la fermeté d'un rapace capturant sa proie, le métal cliqueta, crissa silencieusement contre la poigne du chevalier, tremblant un instant, puis plus rien. L'instant d’après, Artanis, laissant tomber ses bras de part et d'autre de son corps, pivotant, se dirigeait machinalement tel un pantin désarticulé et le visage livide vers sa lance. Ce n'était pas tant qu'il n'avait pas été reconnu pour ce qu'il était, Artanis Kirin ... si bien sûr que c'était pour cela, bien évidement que c'était pour cela, mais l'un dans l'autre le chevalier dragon se réjouissait que son identité reste secrète si jamais la situation devait dégénérer.
Son cœur et son ego ne pouvant surtout pas tolérer un tel affront, c'est ferme qu'il se campa derrière son ami alors que ce dernier brandissait sa défense verbale contre les rixes assassines de ses assaillants. Le sourcil de l'elfe dragon se haussant lorsqu'il eu la confirmation de ce qu'il avait pensé plus tôt, que le grimoire de son ami contenait des savoirs de quelque magie interdite, et qu'il n'en avait pas fait l'acquisition par des moyens normaux. Pour autant il s'en fichait bien, lui même était par définition parias aux yeux de la lois elfiques, à se mêler ainsi à la vie et au destin d'un dragon.

Lorsque la discussion s'envenima, Ildarion eu un mouvement de recul, Artanis se plaça instinctivement devant lui, même si il savait en son cœur que son amis serait bien plus de taille face à des adversaire de cette nature. Le théâtre d'un affrontement désormais impossible à désengager s'installait dans le cercle de pierre, les adversaires se choisissaient, l'elfe dragon, avait le sien, un mage d'altération qui tenterait de l'attaquer à l'aide d'armes blanches. L'elfe éclata d'un rire cristallin avant d'haranguer son adversaire :

-Tu vas donc t'abaisser à moi et ne pas te servir de ta magie ? Quoi ? Tu penses que ma magie n'en vaut pas le coup ? C'est mal connaître mes pouvoirs !

Et joignant immédiatement le geste à la parole, Artanis mobilisa ses pouvoirs élémentaire et fit fuser un javelot de glace de la taille de sa lance en direction de son adversaire qui s'en retrouva … mouillé. Le projectile était redevenu liquide et avait simplement éclaboussé l'adversaire de l'elfe dragon se rendant compte de son hubris, entretenue par sa victoire précédente sur son frère dont il commençait à comprendre l'origine. Artanis, gêné, ne sut que se racler la gorge et hausser les épaules face à la surprise de son adversaire. Un rapide regard interrogateur à Ildarion, mais pas le temps de se perdre en considérations inutiles, le chevalier revint immédiatement à "son mage" qui faisait déjà fuser un lame métallique en sa direction, telle une flèche, puis une secondes, puis une troisième. Parant, esquivant, se fendant, Artanis arrivait à peine à gagner du terrain et franchir l’espace qui le séparait de son adversaire afin de pouvoir l'engager avec sa lance, arme qu'il savait maîtriser avec bien plus d'adresse.

Le combat avait démarré depuis seulement quelques secondes, et Artanis savait déjà qu'il serait bien plus ardu que prévu, son souffle déjà accéléré l'inquiéta alors qu'il commençait déjà à envisager toutes les tactiques possible de cet affrontement qui se destinait à durer de longues minutes. Secrètement, Artanis aurait espéré que ses camarades s'en sortent mieux que lui, il savait que cela ne serait pas le cas.

La journée s’était bien avancée depuis leur départ de l'auberge elfique et après un moment de calme une fois que l'elfe aux cheveux d'argent et son jeune dragon aient fini de jouer et d'user un peu de leur énergie pour passer le temps, le soleil atteignait son zénith. L’érudit décréta alors arbitrairement une pause, faisant rechercher au groupe un endroit calme pour s'installer pour la durée de l'interruption de leur voyage.  Si cela était encore un peu tôt aux yeux de la jeune humaine, cela fournirait au moins la possibilité aux montures de se reposer et au groupe de se restaurer un peu, bien que les premières n'étaient pas vraiment épuisées, ce n'était pas comme si le groupe avant avancé à très vive allure.

Espérance en profita pour laisser dériver ses pensées, le dragon disparu un peu plus loin jusqu’à ce que des étrangers choisirent de s'approcher du trio.
Une fois un peu rapprochés, le regard gris de la jeune humaine scruta les arrivants avec attention. C’étaient des cavaliers elfes, tous ayant revêtit des habits rappelant plus des mages plus que des guerriers et à la constitution de chacun d'entre eux, il n’était pas compliqué de deviner qu'ils étaient plus proche d'Ildarion que d'Artanis.

Ces voyageurs s'approchant intentionnellement d'eux, c'est après un regard discret a Artanis qu'elle s'approcha tandis qu'il allait accueillir les arrivants. La surprise d’être interrompu resta camouflé derrière un air neutre qu'elle arborait desormais dans l'attente de l'objectif de ce groupe.  Avant que les arrivants n'aient le temps de parler, ils furent saluer avec respect par Artanis, dont le retour fut moqueries et raillements envers son association avec une humaine, mais la leçon de la veille ayant été apprise, bien qu'encore difficilement, elle se contenta de rester silencieuse et "calme". Par ailleurs, Artanis lui offrit une mise en garde face a cette situation en la forme d'une main ferme posée sur la carapace protectrice d’Espérance, qui était autant un rappel a la leçon d'hier, peut être une façon de dire: "je m'en occupe" et surtout, une demande de faire preuve de patience a la jeune femme. Le tout se transforma rapidement en la preuve de la patience éprouvée d'Artanis, mise a mal par le comportement peu courtois des arrivants.

Espérance elle même se sentait bouillonner. La tension montait à chaque parole prononcée par les arrivants. A leur comportement et gestuelle, il n’était pas compliquée de deviner le caractère explosif de la situation. Le clou de tout ceci fut le méfait dévoilé par le dirigeant de ce groupe de mage, venu récupérer certains objets "empruntés par Ildarion, qui dans sa soif de connaissance et sa quête de savoir n'avait pas jugé bon de laisser plus qu'un mot. Si cela aurait pu en temps normal provoquer le retrait du chevalier face à cela, car la justice s'applique pour tous, elle n'en avait pas moins une dette envers Artanis qu'elle se devrait combler, d'autant plus qu'elle était aussi hors la loi en un sens. Par ailleurs, le besoin d'apprendre le respect a ce groupe de mage se faisait sentir. L'un des membre du groupe d'elfe s’avança pour récupérer le livre d'Ildarion, que ce dernier refusa au dernier moment, promettant une restitution rapide, tentative de compromis qui lui fut refusé.

Silencieuse tout ce temps malgré que son regard, qu'elle gardait bas pour éviter de provoquer plus que nécessaire les elfes tout en se préparant au pire, c'est l'interruption des négociations par ce geste de retrait de son compagnon puis officialisé verbalement par les étrangers qui fit prendre un tout nouveau court à cette rencontre, bien qu'en un sens, Espérance sentait que les mages devaient avoir souhaités cela tout le long de l'entrevue. Tandis que tout leur groupe d'elfe mal luné choisit de se préparer au combat, celui qui se retrouvait face a elle commença à changer de forme, grossissant, adoptant des proportions non elfiques.
Il avait après tout été stupide d’espérer qu’ils acceptent la proposition d’Ildarion de se retirer et encore plus celle de l’elfe de se voir remettre le livre.

Sa propre épée sortit de son fourreau tandis qu’elle fit quelques pas en avant. Puis, avant de prendre la moindre posture de garde, elle trancha devant elle a l’horizontale. Le geste, habituel pour elle avait pour but de frapper rapidement et efficacement d’un premier coup le mage, avant que la fin de sa transformation ne puisse avoir lieu. Le moment de faiblesse de tout druide. Un peu lente par sa réflexion elle manqua de peu la créature qui se recula de justesse, pour se dévoiler sous sa forme animale: Un ours.
L’humaine adopta une posture défensive en effectuant un pas en arrière et se préparant à devoir esquiver la masse plus qu'à la parer pour ensuite frapper de son arme qu’elle tenait à deux mains désormais.  Elle et Artanis devraient rester devant l'érudit quoi qu’il arrivait tout en arrivant à se débrouiller avec leurs propres adversaires, ce qui lui fit pousser un soupir.

Quelques “échanges” et des griffures zébrant l’armure de la jeune femme plus tard, elle jeta un coup d’œil a ses alliés. La situation laissait deviner que ce combat allait être ardu. Puis, d’une feinte, créant une “ouverture” que l’ours s’empressa de prendre pour finalement enfin se voir porter un coup horizontale qui ouvrit une entaille dans l'épais cuir de la bête. Certes, elle n'était pas mortelle, mais son adversaire se calmerait un peu, elle espérait. Le plus important, étant dans un combat de mage d’avoir soit plus de puissance de feu magique, ce dont elle espérait alors qu’Ildarion puisse faire preuve, soit d’avoir de quoi frapper avant d'être frappé par leur magie. Et la, c'était une autre histoire parce qu’ils ne l’avaient pas..

Ildarion vit les mains de l’élémentaliste lui faisant face rougeoyer tandis que des orbes rubescents se formaient au creux de ses doigts.

« Ne l’abîmez pas, intima le mage au pendentif à son adversaire direct, croisant les bras, l’air sûr de lui.
— Excellente idée, acquiesça Ildarion en reculant maladroitement, le livre blotti contre son torse. Pendant l’espace d’un instant, j’ai cru que l’hospitalité de l’académie avait quelque peu diminué.
— Je parlais du livre. »

Le pyromancien eut un sourire en coin tandis qu’il faisait jaillir ses premières gerbes de flammes : deux traits fauves qui spiralèrent depuis les paumes de leur incantateur pour s’arquer dans le ciel et atterrir derrière le détenteur du grimoire, créant un mur incandescent qui menaçait de lécher le tissu de sa robe. Ildarion était pour ainsi dire pris au piège au centre d’une lune flamboyante ; sur sa gauche, sa droite et ses arrières, un écran de chaleur lui barrait la route, rideau rubigineux dont il sentit instantanément le souffle comme le mordant d’une gifle sur l’intégralité de son corps. Déjà la sueur commençait à perler sur son front, tandis que ses mains, rendues moites par le stress de la précédente montée en tension, sentaient le cuir de la couverture de l’ouvrage se réchauffer désagréablement.

Puisqu’il était rendu prisonnier et immobile, son opposant ne se pressa pas pour s’exécuter à partir de là. Il longea le rocher où étudiait précédemment Ildarion, se saisit au passage de son bâton, qu’il scruta avec minutie avant d’acquiescer, comme satisfait. Il commença alors enfin à progresser vers lui. L’arcaniste, ainsi acculé et en difficulté, dut déployer des efforts de sang-froid pour rester stoïque. S’il leur livrait le tome à présent, il n’avait aucune garantie de survivre à cet affrontement ; aussi fallait-il littéralement jouer avec le feu, afin que sa vie soit intrinsèquement liée au destin de la monnaie d’échange qu’il agrippait fébrilement.

« Un pas de plus, et je le jette dans les flammes ! »

Le mage de feu grimaça et sembla lui jeter quelque chose de sa main libre ; cependant, en lieu et place d’un hypothétique projectile se matérialisa un fouet rougeoyant qui vint claquer contre les bras d’Ildarion, le forçant à lâcher son grimoire au sol sous la surprise et la douleur de la morsure. Le ruban d’or et de rubis virevolta un instant dans les airs, puis frappa à nouveau le mage acculé, dont la tenue commençait à prendre feu et le visage, vultueux, se retenait de crier afin de ne pas aspirer les fumées environnantes. Une fois son office fait, le mage de l’académie reprit sa progression vers le livre au sol qui semblait s’offrir à lui.

Dans la poix naissante qui brouillait sa vision et embuait ses yeux de larmes, Ildarion devina plus qu’il ne vit la scène alentour : ses compagnons, en difficulté, aux prises de leurs propres némésis ; et le mage au pendentif, calme, immobile au milieu de la clairière. Il semblait sourire ; son visage rayonnait malgré le voile flou qui habillait sa vue. Aussi, Ildarion sentit comme une pulsion naître en lui, sous la douleur, la peur, la rage également ; et tandis qu’il se mordait la lèvre inférieure jusqu’au sang, qu’il serrait les poings et que l’air venait à lui manquer, il explosa, balayant l’espace de ses bras, laissant se propager une bulle d’eau qui déferla sur une courte distance avec lui pour épicentre.

En conséquence de sa contre-attaque, le dioptre de flammes s’était mué en vapeurs pernicieuses qui aveuglèrent un court instant son opposant direct. Cela lui suffit pour se dégager de là et gagner quelques précieux mètres de distance sur lesquels il clopina difficilement. Le pyromancien finit par remarquer sa fuite, mais ne lui offrit que du dédain ; s’égouttant négligemment, il se pencha vers le livre et agita sa main au-dessus pour commencer à en sécher les pages.

« Finissons-en d’abord ! intima le mage au pendentif à son acolyte. Nous aurons tout le temps pour cela plus tard. »

Le mage de feu s’exécuta et se redressa. Reprenant une posture agressive, il leva le bâton d’Ildarion tandis qu’une intense lumière se formait en son sommet. Une sphère coruscante s’y trouvait bientôt, que l’arcaniste projeta avec zèle en direction d’un Ildarion pantelant et présumément sans défense.

Présumément.

Avec détermination, Ildarion pointa la paume de sa main droite vers le projectile et généra une sphère d’air comprimé à son encontre. Elle était de dimension plus faible, mais non négligeable : la collision des magies provoqua une détonation qui projeta les deux adversaires au sol, manquant de faire vaciller le mage au pendentif. Le mage de feu avait, semblait-il, lâché son bâton lors de sa chute, qui avait étonnamment roulé vers son légitime propriétaire. Avec surprise – mais soulagement – Ildarion se mit à ramper sur les quelques pas qui le séparaient de son appui ; mais au moment où sa main se posa sur le bois supposément familier, il ne sentit rien d’autre que l’herbe humide et la boue en-dessous. Il fourbit le sol un instant, entendit rire derrière lui.

« C’est donc vous, le prodige de l’académie, si curieux, si prompt à questionner l’ordre établi… Vous voilà dans de beaux draps, à traîner dans la fange en quête de fantômes. »

Se retournant, puis levant la tête, Ildarion vit une immense ombre dans le ciel qui fonçait sur lui à vive allure. Faisant une roulade disgracieuse sur le côté tenant davantage d’une contorsion paniquée que d’un réel mouvement d’évitement, cela suffit néanmoins à le protéger du pire, puisqu’il réussit à éviter… quoi que ce soit qui allait s’abattre sur lui. Levant le torse, un genou en terre, il ne voyait plus aucun de ses deux adversaires.

« J’avais commencé à avoir des scrupules à spolier un si grand potentiel. Mais en fin de compte, vous n’en valez pas la peine. »

Là où ne se trouvait rien un instant plus tôt surgit un cône de flammes qui le força à s’agenouiller, avant qu’il ne commence lui-même à le contrer, matérialisant devant lui une barricade de terre. Aurait-elle été d’argile qu’elle se serait changée en céramique ; et c’est de longues secondes plus tard que l’assaut ardent cessa de s’épuiser contre ce bouclier de fortune.

« Vous avez quelques ressources. Dommage. C’est insuffisant. »

Un autre souffle flamboyant, plus vacillant, jaillit de derrière lui. Il songea à répéter son précédent effort mais s’arrêta net, réalisant que le pyromancien n’aurait pu gagner autant d’espace en si peu de temps. Aussi, lorsque ces nouvelles langues de feu finirent par l’atteindre, il ne sentit, pour ainsi dire, rien du tout. Aussitôt, il renvoya une puissante lame de vent dans la direction des flammes factices, arrachant un cri de la part du mage au pendentif qui fut à son tour projeté au sol. Le pyromancien apparut aussitôt dans le champ de vision d’Ildarion, pris au dépourvu tandis que l’illusion qui le dissimulait s’effondrait. Il tenta bien de lui lancer un nouveau trait de flamme par réflexe, mais ainsi déconcentré, le sort ne s’avéra que peu puissant et aisément contrable ; au contraire d’Ildarion, dont la détermination n’avait jamais été aussi grave.

Serrant ses poings autour d’étincelles naissantes et crépitantes, il se redressa et se positionna avec plus de résolution qu’il n’en avait jamais eue tandis qu’un vrombissement commençait à l’environner ; aussitôt, il y eut de la lumière, un flash pour quiconque observait la scène, puis un grondement sourd tandis qu’un arc électrique déchirait l’air entre leurs deux corps pour s’abattre sur son ennemi de plein fouet. Instantanément, tous les muscles du mage se raidirent et se crispèrent tandis qu’il s’immobilisait sur place en grimaçant de douleur. Il y avait dans ce trait d'énergie une telle intensité qu'une exposition prolongée aurait probablement causé des dégâts irréversibles au corps de la victime, et ce n'était pas le but de l'arcaniste ; aussi, cela ne dura qu’un ersatz de temps, moins d’une fugace seconde, mais cela eut néanmoins le mérite de changer l'expression de sa cible ; son assurance méprisante s’était mue en inquiétude entendue. Ildarion était haletant, mais se sentait pourtant gorgé d’énergie à cause de l’affrontement qu’on lui faisait vivre et des convictions qu'il couvait en lui, avec le pressentiment que ce combat était loin d'être anodin.

« Je vous autorise encore à faire demi-tour, souffla-t-il avec, au milieu de son visage noir de suie, deux billes vives et étincelantes. Ne me prenez pas pour un magicien de pacotille. »

Le souffle court et la sueur perlant le long de son visage crispé, Espérance semblait en difficulté face au change-forme face a elle. Devoir esquiver la créature l'avait un peu plus éloignée de ses deux amis, et d'une façon ou d'une autre, les autres mages avaient atteints l’érudit. Comme attendu d'ailleurs, les mages combattaient de tout leurs artifices, des flammes et de la foudre, passant par divers sorts sur lesquels la demoiselle n'avait qu'a peine le temps de jeter un regard sous les assauts du mage.

Ayant du mal a se concentrer sur d'autres combats en plus du sien qui la mettait physiquement a l'épreuve, elle choisit de diriger ses efforts vers le druide afin d'en finir au plus vite. Le duel n’était d'ailleurs pas uniquement a sens unique, mais la riposte de l'humaine, qui commençait a sentir le poids de ses propres protections peser dans ses esquives qui étaient passés de "correctes" au vu de la situation a "de justesse".

Plus qu'un animal, ayant conservé son intelligence, ce n’était pas une mêlée a l'avantage de la jeune femme et la seule chose qu'elle avait, était définitivement une lame plus longue que les griffes de l'ours-mage face a elle et dont cette dernière avait heureusement réussi a toucher a quelques reprises durant leurs échanges. Malheureusement, chacune des coupures nettes dans la chair de son ennemi n'avait pas fait plus que provoquer des saignements, nul point vital n'ayant été atteint et chaque seconde passée au combat avec ce mage ci la rapprochait du moment fatidique ou l’adrénaline du combat s'estomperait, la fatigue se ressentirait et ou ses coups comme ses esquives et parades se feraient bien moins vives. Son adversaire semblait d'ailleurs lui aussi le savoir et devait jouer la dessus, la forçant parfois a parer et jouer d'un peu de force face a elle dans le seul but de lui faire consommer ses forces.

L'humaine changea a nouveau de posture au cours d'un nouvel échange au cours de cette danse étrange et disgracieuse. Elle avait usée d'esquive, il allait desormais être temps de passer a des techniques plus efficaces pour pas seulement blesser et neutraliser de façon non létale, mais bien de tuer cet adversaire.  Se rappelant a ses souvenirs d'antan, a sa rage passée envers les utilisateurs de la magie, elle commença a frapper rapidement, cherchant des tendons, des muscles et tout ce qui lui permettrait de non seulement réduire les mouvements de son adversaire, mais aussi et surtout de porter un coup de grâce d'une efficacité remarquable.

Tandis qu'elle gagnait un peu d'avantage, reculant parfois pour laisser la propre force de la créature la faire s'empaler sur la lame d’Espérance, l'acier finit par trouver son chemin dans le cuir de l'animal et c'est dans une hurlement bestial de douleur et de rage qu'elle entailla enfin profondément la patte avant droite de son adversaire d'une blessure plus sérieuse. Avançant, se décalant sur le coter droit du mage, a nouveau elle frappa tenant son épée de ses deux mains, ouvrant le flanc de la créature tandis que, comme pour accentuer son acte, la foudre tombait et frappait en simultané un peu plus loin.

De douleur et désormais de colère, son adversaire poussa un hurlement, puis s’élança contre elle. Légèrement surprise pour la vivacité de la créature, leur regard, en se croissants, dévoilèrent a Espérance toute la rage bestiale qui semblait s’être emparée de l'ours. Plaquée au sol et maintenu a terre par la simple masse de son adversaire, son épée, bien que non loin lui avait échappée des mains. Se servant instinctivement de sa main pour protéger son visage, la créature mordit dedans, secouant l'avant bras violemment ce qui provoqua un cri de douleur, mais de la jeune humaine cette fois, les protections, sous la morsure de la bête se déformant assez pour appuyer sur son membre.

Soudainement libérée tandis que la bête s’était soulevée pour mieux l’écraser a nouveau sous son poids, elle roula juste a temps sur le coter pour esquiver. Ramassant la lame dans la foulée. Sa main non directrice l’élançant de douleur, c'est a une main qu'elle se saisit fermement de l'arme puis qu'elle frappa en direction du visage de l'ours du pommeau dont le bout trouva sa cible, la désorientant suffisamment pour qu’Espérance puisse se relever correctement.

D'un geste plus symbolique, retrouvant son souffle dont chaque inspiration lui semblait avoir été une éternité depuis la précédente, elle se tint fièrement, lame devant son visage puis elle se mit en garde tandis que l'ours secouait une dernière fois sa tête comme pour se concentrer a nouveau. Se regardant en chien de faïence, les prochains assauts détermineraient le vainqueur et chacun des deux semblait avoir effacé le mot défaite de son lexique, focalisé uniquement a remporter cette victoire, pour lui même comme pour ses alliés.

Fort de sa détermination nouvelle, Ildarion commença à marcher d’un pas hargneux vers le pyromancien, continuant à faire vrombir la foudre. Cependant l’adversaire d’Artanis, profitant sûrement d’une opportunité dans son propre combat, à moins qu’il ne s’agît du hasard des choses, aida incidemment son allié en faisant atterrir l’un de ses épieux de métal dans les environs du mage de feu. Les éclairs d’Ildarion se retrouvèrent déviés vers ce leurre, et il dut adapter sa stratégie, agitant ses mains en l’air pour mitrailler sa cible d’un chapelet de fins picots de glace. La vigueur que retrouvait son ennemi, qui avait récupéré de son électrocution mais n'avait pas réussi à reprendre l'arme d'Ildarion, se retrouvait dans un premier temps pleinement investie à dévier ses coups ; dans un sursaut d’énergie, il parvint finalement à reprendre l’avantage au bout d’un moment. Il imposait une nouvelle cadence, en profitait pour se déplacer en le contournant, se rapprochant de facto du mage au pendentif. Dans son sillage, il replaçait à intervalles réguliers son paratonnerre de fortune pour se protéger d’une éventuelle réplique ; il était preste et calculait intelligemment ses mouvements, coupant pour l’instant toute possibilité de le foudroyer à nouveau, continuant malgré tout à faire pleuvoir les flammes tous azimuts. Pour ainsi dire, dans la valse de glace et de feu qu’ils opéraient tous deux, ils finirent presque par avoir échangé leurs positions. Ildarion arriva ainsi à portée du livre, mais surtout – car c’était le plus important dans l’immédiat – de son bâton, dont il s’assura de la réalité à pleine poigne entre deux échanges de projectiles.

Une courte accalmie dont son adversaire avait profité pour incanter un nouvel orbe de flammes. Chose étonnante : lorsque la boule magmatique se décrocha de son créateur, elle ne se dirigea pas vers lui, et sembla plutôt décrire une courbe qui manqua de frôler les deux compagnons d’Ildarion. Elle allait et venait, tournoyait, orbitait autour de lui en accélérant, finissant par marquer sa rétine d’une balafre rougeoyante. Lorsqu’Ildarion leva son bâton pour riposter, elle sortit soudainement de sa course, prenant une tangente irréelle en fonçant aussitôt vers lui. Là où le tir d’une fronde se serait arqué sous l’inertie, la flamme surgit sans détour et avec fracas, et c’est in extremis qu’il opposa à la sphère brûlante un bouclier rocheux qu’il ne put maintenir plus longtemps que durant quelques instants après l’impact, subissant, lorsqu’il se brisa, une vague de chaleur et de poussières ignescentes.

« Ce n’est pas normal » pensa Ildarion en serrant les dents, soupçonnant fortement l’intervention du mage au pendentif dans la magie qui venait de le frapper. Jamais il n’avait encore vu de flammes aussi rapides, dirigées avec autant de précision, autant de minutie.

Déjà le pyromancien revenait à la charge avec un autre globe ardent. La même trajectoire ignée, la même vélocité perçue mettant à mal sa concentration tandis que se formait autour de lui un véritable disque en fusion. Le projectile semblait s’évaser et occuper l’intégralité de sa trajectoire sous l’impulsion de sa vitesse supposée. Lorsqu’il devint impossible pour Ildarion de distinguer la comète de sa queue de braise, alors seulement le rond flamboyant commença à se refermer sur lui comme un piège inexorable. Encore une fois, Ildarion tenta de lancer un sort ; non pas vers le mage de feu, cette fois, mais sur lui-même. Lorsque le cercle se brisa à nouveau en réaction à ce qu’il incantait pour projeter vers lui sa charge incandescente, il retint sa respiration et se recroquevilla sur lui-même. La flamme darda vers lui jusqu’aux derniers instants, faiblissant en intensité tandis que l’air alentour se faisait moins dense. Sans avoir réussi à créer un vide parfait, Ildarion avait néanmoins suffisamment appauvri son environnement en comburant pour rendre la collision moins violente. Même diminué, le feu le mordit de plein fouet, ses efforts ayant rendu la collision plus "supportable". Aux portes du malaise, l’arcaniste tenait néanmoins encore debout.

Puisant dans des réserves insoupçonnées, il ne laissa pas au duo de mages l’occasion de répéter leur subterfuge une troisième fois, projetant dans leur direction une bulle liquide pour finir de les asperger totalement. Le mage au pendentif se recula, mais le pyromancien était resté immobile, tentant une riposte. Aussitôt Ildarion refaisait jaillir la foudre de ses doigts, déchirant l’espace de crépitements assourdissants et répétés ; et si une grande partie de cette énergie continuait de frapper le morceau de métal dont s’était doté sa cible, une fraction non négligeable des arcs électriques finissaient néanmoins par toucher au but, directement ou indirectement, arrachant de multiples cris de douleur à l’arcaniste dont les ressources commençaient également à se tarir. Aux traits de foudre se succédèrent des masses rocheuses qu’il propulsa avec force contre tous les membres de son ennemi jusqu’à le mettre à terre.

Arrivé à son niveau, il écrasa l’une de ses mains de la pointe de son bâton, la figeant dans une menotte de terre solide. Le mage de feu n’opposa pas de résistance : il s’était évanoui. Le mage au pendentif avait gagné quelques mètres de distance, une assurance incompréhensible sur son visage. Ildarion se détourna de lui, jaugea ses compagnons qui, bon gré mal gré, tenaient bon, voire triomphaient dans leurs duels respectifs ; et cela, somme toute, avait bien peu de chance d'être une autre illusion. Sans quitter l’arcaniste de l’académie des yeux – il ne devrait plus présenter de danger à présent que son sbire était hors d’état de nuire – il commença à progresser vers ses comparses, profitant du peu de forces physiques et mentales qui lui restaient pour apaiser ses brûlures les plus graves de ses quelques connaissances curatives.

Ce qui semblait être de courtes secondes s’étaient écoulés depuis qu'elle s’était relevée la première fois. Elle et le mage sous forme d'ours avaient de nouveau échangés quelques coups de griffes, crocs et lame et ce dernier semblait prit d'une rage de plus en plus bestiale a mesure. Après un énième coup, la jeune humaine n'arriva plus a esquiver correctement et se retrouva de nouveau a terre, mais son épée, tenue d'une main de fer de nouveau frappa, quoi qu'avec maladresse, pour finalement toucher et blesser a nouveau. Essayant de repousser la gueule de la créature qui en voulait a son cou, elle se débâtait tout aussi furieusement que la bête cherchait a la tuer. Mais petit a petit, tout comme la fatigue gagnait l'humaine, le sang perdu par son adversaire sapait ses forces. Tout doucement, elle se savait prendre l'avantage malgré les mises au sol et les contusions qui se faisaient sentir. Prise dans son combat, c'est au dernier moment qu'elle remarqua la main elfique qui s’enfonça dans la gueule de l'ours lors d'une nouvelle tentative de la mordre et qui déchargea électricité crée par magie pour assommer son adversaire. Ce dernier, aussi massif et imposant qu'il était fut prit de spasme sous la douleur et le choc puis finit par tomber au sol, reprenant sa forme elfique petit a petit, couvert de son propre sang, inconscient bien qu'il semblait encore respirer et vivre.

Eleonore en profita alors pour porter une attention supérieur a ce qui se passait autour d'elle. Artanis, qui desormais lui tendait une main pour l'aider a se remettre sur ses pieds semblait en avoir finit avec son adversaire, bien qu'il ait lui aussi visiblement eu quelques soucis. Ildarion, leur compagnon mage lui semblait encore aux prises avec le dernier membre du groupe ennemi. Après ce vif regard, elle accepta l'aide a se relever.
Ressentant alors quelques douleurs a certains des endroits ou la bête avait frappe avec force, malgré l'armure la protégeant, la jeune femme sut avec certitude que quelques jours de repos seraient nécessaire a son rétablissement, mais, elle se contenta de serrer en silence les dents et d’éviter de faire transparaitre tout cela, le temps au moins que le combat se finisse. Le chaos approchait doucement de sa fin.

L'elfe aux cheveux d'argent posa alors une main sur son épaule, un acte réconfortant qui trouva comme réponse un merci, presque murmure tandis que la jeune humaine inclinait légèrement mais respectueusement la tête. Pas d'autres paroles prononcées, cela attendrait la aussi la fin définitive du combat. Artanis s’éloigna alors d'elle, se rapprochant du combat, sans pour autant rejoindre Ildarion. Elle lui emboita le pas, son arme fermement empoignée d'une main. Elle observa a nouveau le guerrier elfe puis le duo d'elfe encore en duel, choisissant alors de laisser Ildarion faire. Si Artanis avait a ce point confiance en lui, qui était-elle pour en douter, par ailleurs, intervenir dans un combat pouvait, et elle le savait, en changer drastiquement le rythme au point de faire perdre celui qui en temps normal aurait pu gagner.

Elle se tint alors droite au cote du guerrier elfe, son arme toujours fermement en main et prete a servir, Attentive a ce qui allait se passer.

Le mage au pendentif semblait étrangement sûr de lui, même en constatant la débâcle de ses trois compagnons. Le pyromant avait été mis hors d’état de nuire ; le mage d’altération venait d’abdiquer face à Artanis, et l’elfe-ours, quoiqu’encore debout, était en difficulté face à une Éléonore vaillante et déterminée. Lorsque le chevalier-dragon commença à s’avancer vers l’humaine, l’illusionniste lança à Ildarion avec condescendance :

« On ne peut jamais compter que sur soi-même. »

…avant de disparaître à nouveau. Ildarion plissa des yeux, essaya de repérer une faille dans l’illusion du mage de l’académie, sans succès. Instinctivement, ses yeux sondèrent le sol à la recherche du livre : puisque c’était l’objet de la discorde, il fallait parier que le mage au pendentif essaierait de s’en rapprocher tôt ou tard. Aussi, l’elfe chétif termina ses premiers soins d’urgence et tituba doucement dans la direction du grimoire. Lorsqu’Artanis aida l’humaine à mettre à bas leur opposant animal, l’illusionniste réapparut dans la vicinité du tome de magie et le ramassa. Ildarion se mit à nouveau en posture de combat, plus par bluff que par réelle capacité à entamer ce dernier duel seul.

« Allez-vous récupérer le livre et laisser vos pairs ainsi affaiblis derrière vous ?
— C’est un choix difficile qu’ils comprendraient volontiers.
— Dans ce cas, l’académie n’est plus que l’ombre d’elle-même. »

Ildarion aurait espéré exciter assez l’académicien pour que ses compagnons aient le temps de le rejoindre. Il n’en fut rien ; l’illusionniste ne semblait pas prompt à s’épancher davantage sur ses méthodes peu orthodoxes. D’un geste assuré, presque familier, il ouvrit le livre.

« Je vous ai demandé de coopérer… mais vous avez choisi la voie de la souffrance ! »

Une puissante énergie émergea de ses environs, convergea vers Ildarion qui se sentit aussitôt vaciller. Ses paumes lui causèrent des fourmillements d'intensité croissante. Aussitôt, il commença à remarquer de légères taches qui se formaient sur sa peau ; autant d’ocellations d’où émergèrent peu de temps après de légères volutes rouges, spiralant comme autant de nuées en direction du livre. Ildarion se rendit très vite compte que le sortilège avait gagné l’ensemble des parties visibles de sa peau. Voir son propre sang voler dans les airs avait un aspect fascinant, même s’il ne pouvait, dans l'état, pleinement en profiter, saisi de convulsions et de hauts-le-cœurs alors que son corps entier ployait sous l’alerte et l’affaiblissement ; car ce n’était pas tant de la douleur qui le saisissait et l’empêchait d’agir, mais quelque chose de beaucoup plus étrange, de beaucoup plus insidieux. Ildarion tenta de balbutier quelque chose, tendit la main vers l’arcaniste, mais déjà il ployait le genou, comme aspiré par le sol ; et tandis qu’il tournait de l’œil, une dernière image passa sur sa rétine voilée de rouge comme un nuage fugace : la silhouette, noire, intangible et hilare, se dressant face à lui avec aplomb et arrogance.

Le combat avait commencé a prélever son dû, aussi bien du côté du trio que de celui du groupe de mage.
Vaillant jusqu'au bout, c'est avec la rage au cœur que la jeune humaine vit Ildarion tomber en premier au sol. Rapidement, le remord de ne pas s'être directement portée au secours de son compagnon d’arme dans cet affrontement se mêla à sa rage tandis qu'elle prenait soin d'identifier l'école de magie utilisée par cet adversaire.

Son propre visage affichait désormais un dégoût certain pour ce qu'elle  venait de voir, car le livre d'Ildarion était un grimoire contenant une  magie qui aux yeux d'Eleonore, était parmi les plus impie et ce même après qu'elle ait quitté les chevaliers. Magie noir, de sang et autres, tout autant de savoir qui était dangereux car trop souvent utilise a mauvais escient. Repoussant les questions qui se bousculaient dans son esprit quand au comment et au pourquoi Ildarion avait un tel livre avec lui, la silhouette d'Artanis se rapprochait déjà du dernier de leur ennemi tandis qu'elle emboitait le pas avec quelques mètres de retard.

L'elfe agissait avec vivacité et une énergie qu'elle n'aurait pas soupçonnée chez lui vis à vis du déroulement de l'affrontement, mais a  cœur vaillant rien d'impossible disait-on et déjà, il engageait le mage en combat rapproché. L'elfe aux cheveux d'argent frappait avec précision et acharnement, ne laissant aucune seconde de répit à l'ennemi qui lui n'arrivait qu'à parer, donnant à la jeune humaine l'impression d'une danse menée par le guerrier à la lance, dont la fin était symbolisée par l'activation du piège de foudre. Puis tout prit fin, dans un nouveau grondement de tonnerre. Les membres magique de leur adversaire anéantis, c'était là le moment d'en profiter. Le mage, pas encore remis du choc électrique qui neutralisa son sort puis le frappa, ne put esquiver un premier coup que l’humaine porta dans les quelques secondes après le déclenchement du piège.

Attrapant la lame de son arme, elle frappa d'un coup de garde le mage, mais tout comme ses compagnons, la fatigue elle aussi ne lui permettant pas d'assommer du premier coup le mage. Ce dernier tomba au sol, une main sur son visage tandis que la jeune femme se rapprochait pour le frapper. Peu glorieux mais ne souhaitant pas le tuer, elle en vint aux mains, portant deux coups tandis qu'il essayait de se concentrer pour a nouveau se servir de sa magie.

- Rendez vous. Cessez ce combat.. tant que le premier sang.. n'a pas encore coulé !

Sa voix avait été ferme malgré la fatigue qui transparaissait. L'espace d'un instant, il cessa de se débattre, et elle fit de même. Puis d'un coup, la fit rouler sur le coter. Le temps pour elle de revenir a son ennemi, il avait déjà incante un autre sort et la dernière chose dont elle se souvint fut un monde de douleur, la main du mage tendue et maintenue vers elle.

Tout était vide et silence. Adieu la caresse de l’humus, adieu le vacarme des cris. Il n’y avait plus rien ni personne autour de lui. Ildarion était là, las, gourd et immobile face à ce qu’il prenait pour le sol. Son être tout entier, perclus de torpeur, restait statique et hébété, tétanisé à l’idée de se remettre en branle. Aucun de ses muscles ne lui répondait vraiment ; tout au plus arrivait-il à contorsionner sa tête, entrevoyant à travers ses paupières mi-closes l’espace onirique qui lui servait de prison.

« Relève-toi » s’intima-t-il plusieurs fois.

Sans succès.

« Relève-toi ! »

Ces ordres qu’il se donnait ne sonnaient pas. Une nouvelle fois, il essaya, forma l’injonction dans son esprit ; il en soupesait chaque mot, chaque syllabe, s’imaginait prononcer la phrase distinctement et intelligiblement, chaque mouvement de langue, chaque claquement de dents, chaque entrelac de ses lèvres tandis que les phonèmes se mettaient bout à bout ; mais lorsqu’il tenta de vocaliser le tout, aucun son ne fut émis de sa bouche. Il plissait ce qu'il supposait être ses lèvres, forçait sur ce qu'il supposait être sa gorge, mais la parole lui manquait. L’ordre, narquois, résonnait pourtant dans l’espace. Ce qu’il percevait alentour n’était qu’un écho sordide, celui de sa pensée s’usant contre les parois de son crâne.

Un instant, il essaya de se calmer, tenta d’évaluer l’intégrité de sa personne. Chacun de ses membres semblait comme un rêve de pierre ; évanescent lorsqu’il s’agissait de les sentir, de les retrouver pour ainsi dire, tant il se sentait éclaté entre mille lieux ; puis, incroyablement lourds et pesants, lorsqu’il s’agissait de retrouver leur contrôle. C’est avec une lenteur mortifère qu’il devina son bras droit et qu’il le traîna jusqu’au-devant de sa tête ; ses tendons l’élançaient comme des élastiques au bord de la rupture ; ce n’était pas douloureux, mais ça aurait dû l’être. Il ne comprenait pas.

« Relève-toi ! »

Sa paume de main, désormais visible dans la lueur froide et diffuse de l’endroit, n’était qu’un amas d’os drapé d’une manche mitée. Il fronça les sourcils – avait-il des sourcils ? – et matérialisa devant lui une petite flaque d’eau cristalline avec une aisance étonnante. Penchant son visage vers le miroir aqueux, il ne vit dans son reflet qu’un masque d’albâtre percé de deux orbites vides. Il fut tenté d’être terrifié, mais s’avéra fasciné par ce tour d’esprit. Ainsi se voyait-il aux portes de la mort ; et pourtant il savait au fond de lui qu’il n’en était rien.

Pourquoi sa propre tête le drapait-il d’autant d’illusions sensorielles ? Si ce monde-là était lui-même un jeu de son esprit enfiévré, alors il existait des règles qui le régissaient, qui permettaient de le dominer. Fixant toute son attention sur la flaque générée précédemment, il arriva très vite à la faire gonfler et tourbillonner, s’entourant de son flux. Dirigeant le flot, il noya son autre bras, usa du courant pour le ramener à hauteur du premier avant de dissiper le liquide d’une simple pensée.

En ce rêve, sa sensibilité magique semblait aller de soi. Ce qu’il avait fait avec l’eau, il fit semblablement avec le feu : la flammèche qu’il créa d’abord devint tornade en un rien de temps sous son commandement. Une volonté, un geste, et le feu se fit glace. Dans une certaine ivresse, il tenta de repousser ses limites, ne les trouva pas ; lorsque le monstre de givre prit la forme d’une colonnade spiralant jusqu’aux limbes de son hallucination, il la dissipa d’un signe.

Apposant ensuite l’une de ses mains sur l’autre, il généra un influx de chaleur revigorante, observa avec minutie les plaques rougeâtres qui se formaient à la surface de l’os. Elles se boursouflaient, se contorsionnaient, formaient des volutes de toutes sortes de carnations. Très vite émergèrent le long de son bras des rondeurs, des formes, comme des collines écarlates sillonnées de routes blanches et rouges. Par strates, de nouvelles couches se formaient, s’ajoutaient aux précédentes jusqu’à retrouver un teint et une surface qu’il connaissait bien : celles de son derme habituel.

Au fur et à mesure de sa régénération, de multiples sensations l’avaient assailli sans qu’il ne sache encore les interpréter. Une fois achevée, le membre, revitalisé, semblait plus léger, plus sensible, plus préhensible aussi. Sur le dos de sa main, les marques de la magie de sang demeuraient visibles, comme de multiples mouchetures ocres sur le blanc de sa peau. Il massa ses plaies des doigts osseux de son autre main, grimaçant de gêne au contact des multiples écorchures.

Puisque le rêve persistait toujours autour de lui, Ildarion reprit le processus sur le reste de son corps. Mais sa hâte s’était faite empressement, et son ivresse s’était faite hybris. A nouveau il eut de fortes gênes, puis de véritables affres qui le tourmentèrent en maints endroits. Sa dolence lancinante s’était muée en calvaire, puis en une pleine douleur qui finit par freiner ses entreprises curatives tandis qu’il se recroquevillait, serrait les dents de sa mâchoire encore nue comme par réflexe.

Il voulut attendre un instant que le mal s’estompe, mais ne put définir ce qu’était un instant en ce lieu. La souffrance était vive, mais aucun réconfort n’était à l’horizon autre que ses propres arcanes de soin, celles-là mêmes qui présentement lui causaient mille torts et tourments tandis qu’il reformait, sur le spectre de son avatar, sa propre enveloppe. Et plus il recouvrait de son état précédent de désœuvrement, plus les ravages du combat revenaient à lui. En retrouvant les pleines dispositions de son corps, il regagnait aussi tous les calvaires subis par sa chair meurtrie. Cette douleur, qu’il n’avait pas su, pas pu ressentir lorsque le mage noir l’avait siphonné de l’envie même de vivre, revenait à lui, sourdait dans ses entrailles à moitié reformées. Il pantelait, agonisait, amas de chair et d’os à allure humanoïde râclant le vide qui servait de sol.

Pour ainsi dire, il fut presque tenté de tout abandonner. Revenir à l’état d’os et de poussière, perdre à nouveau l’emprise sur son corps tandis que l’aisance qu’il s’imaginait avoir avec la magie lui reviendrait. Dans ce vide qui était sien, il pourrait bâtir monts et merveilles à l’abri des assauts du temps et des autres. Il aurait une éternité pour combler ses lacunes, et ça lui suffirait peut-être. Pourquoi devoir retrouver le monde matériel ?

« Artanis. »

Cette fois, il n’y eut pas d’écho. Seulement un murmure, son murmure, un râle de mort émanant de ses cordes vocales naissantes. Sa tête avait commencé à se garnir de cloisons de chair ; autant de surfaces qui décupleraient son supplice tant qu’elles seraient à vif – et elles le resteraient aussi longtemps qu’il ne parviendrait pas à terminer son œuvre, prostré par la torture auto-entretenue de sa métamorphose.

Ses compagnons de voyage et sa quête. Voilà pourquoi il ne pouvait se contenter de ce monde d’illusion. La plus grande souffrance restait encore de penser qu’il tirerait un quelconque salut de ce palais de nimbes tandis que ses comparses trimaient là, au dehors, tout près de son corps inerte. Il n’avait pas quitté le confort de sa bibliothèque pour mourir dans la boue d’une clairière anonyme. Sa magie n’aurait pas besoin des airs factices d’un délire décadent pour rugir avec puissance ; et qu’importe la douleur qu’il devrait endurer pour arriver à ses fins, puisqu’elle était, au demeurant, le plus grand cri que la vie pouvait faire en son corps pour se manifester.

« RELÈVE TOI ! »

Lorsque sa carcasse s’extirpa du sol herbu, on eut pu dire un instant qu’Ildarion était un macchabée tiré par des fils de magie noire. Son corps était agenouillé, chancelant, vacillant, et il avait poussé un râle terrible et tout à fait glaçant. Mais c’est d’un geste parfaitement assuré qu’il tint son bâton d’une main et leva l’autre avant de frapper le sol, provoquant un grondement à travers la terre tandis que plusieurs masses se formèrent sous ses doigts pour lézarder sur les quelques mètres de boue qui le séparaient de l’académicien au centre du piège de foudre. Évitant de justesse Éléonore, trois bras de roche jaillirent de terre et s’entortillèrent autour du mage noir, comprimant ses membres et les figeant dans une posture viciée comme les branchages d’un arbre mort ; l’obligeant, dans la foulée, à lâcher le grimoire de magie.

Parcourant les quelques pas qui le séparaient de son ennemi, Ildarion finit par s’abaisser pour ramasser le livre.

« Pas de mot bien senti pour célébrer votre victoire ? » gargouilla le mage noir dans sa cage de fortune.

Ildarion prit une grande inspiration.

« Non. »

Et il forma au-dessus de la tête du mage une pierre juste assez grosse pour qu’elle l’assomme dans sa chute ; puis il tourna les talons et marcha dignement pendant quelques instants, avant de s’effondrer à nouveau sous le poids de la fatigue.